Hommage à l’une des victimes de l’attentat de Nice
Du haut de mes 16 ans, c’est avec mon cœur plein de larmes, mon cœur plein de peine, mon cœur qui saigne que je m’adresse à toi.
A toi, l’une des victimes de l’attentat du 14 juillet.
A toi, l’enfant, la mère, le père, le mari, l’épouse, l’amie, le compagnon, le grand-parent, la tante, l’oncle, le voisin…
A toi, la vie arrachée, le destin fauché.
A toi, le rire que l’on n’entendra plus.
A toi, le sourire à jamais effacé.
A toi, la voix qui à jamais s’est tue.
Tu étais moi et je suis toi.
Ce soir du jeudi 14 juillet 2016, nous étions sur la Promenade, nous étions venus en famille ou entre amis assister aux feux d’artifice de notre fête nationale. Un 14 juillet de liberté, un 14 juillet d’égalité, un 14 juillet de fraternité.
Sur cette Promenade où chacun a son souvenir, le touriste, le fêtard, celui qui pratique le roller, qui mange une glace, qui lit les journaux, qui bronze sur les galets, qui pêche, qui médite, qui fait ses premiers pas, ce lieu d’échange des premiers baisers, des premiers rendez-vous le long de la mer Méditerranée.
La Promenade des Anglais, ce lieu qui est la dernière image que nous quittons et photographons, pour garder en souvenir, quand notre avion s’envole de l’aéroport de Nice pour d’autres destinations. Ce lieu qui a été ta dernière image.
Le bouquet final venait de finir d’éclairer le ciel de Nice. Nous étions encore tous, quel que soit notre âge, sous l’émerveillement de ce spectacle.
Alors que certains s’apprêtaient à quitter la plage pour rejoindre la Promenade, que d’autres se regroupaient pour organiser la fin de cette soirée d’été, que les enfants étaient réinstallés dans leurs poussettes, que d’autres s’éternisaient comme pour attendre un bis de ce spectacle féérique, que d’autres encore donnaient leur avis des feux de cette année par rapport à ceux de l’an dernier, un criminel, lui, commençait son parcours de l’inimaginable, son parcours de lâcheté, son parcours pour tuer, le parcours de sa folie aveugle inexpliquée et inexplicable, son parcours qui aurait comme victimes des innocents.
J’étais encore sous le choc des attentats de novembre à Paris, ma peine n’était pas encore épongée, j’avais encore trop de questions sans réponse, voilà que ce jeudi l’horreur se produit à deux pas de chez moi, de chez vous, de chez nous, des innocents sont assassinés d’une façon que je n’aurais même pas osé imaginer dans le pire des scénarios, UN homme seul avec UNE seule arme : un camion lancé à pleine allure dans une foule innocente, insouciante, captivée encore par le spectacle des feux d’artifice, en fauchant indifféremment tous ceux qui se trouvaient sur sa trajectoire.
Je pensais ne plus avoir assez de larmes. Je pensais que le pire était passé mais je me trompais
La stupeur est revenue, elle s’est réinstallée comme habituée depuis plusieurs mois, avec elle une intense douleur a repris le chemin de mon cœur
Mon empathie a recommencé son travail
On pense souvent que cela n’arrive qu’aux autres et pourtant ce 14 juillet 2016 ça m’est arrivé, à moi qui suis toi, à elle qui est lui, à eux qui sont les autres, jour de la Fête Nationale ta vie t’a été enlevée, ma vie, nos vies ont été bouleversées à tout jamais.
Tu étais français, américain, italien, marocain, norvégien, russe, brésilien, allemand ou d’ailleurs. Tu étais catholique, musulman, athée, bouddhiste, protestant ou autre. Tu étais un citoyen du monde tout simplement.
Moi je suis la Française, l’Américaine, l’Italienne, la Marocaine, la Norvégienne, la Russe, la Brésilienne, l’Allemande ou l’autre, la catholique, la musulmane, l’athée, la bouddhiste, la protestante ou l’autre, je suis la traumatisée à tout jamais.
Je suis celle qui reste, la femme, l’enfant, la mère, l’amie.
Je suis celle qui va commencer son deuil, celle qui va essayer de comprendre, celle qui va réaliser, celle à qui tu vas manquer et qui va souffrir de ton absence.
Car tu es la petite fille que ses camarades ne retrouveront pas à la rentrée scolaire, tu es la meilleure amie qui ne reviendra pas, tu es l’enfant qui ne retournera pas à la crèche, tu es le collègue de bureau qui laisse un fauteuil vide, tu es l’étudiante pleine de projets, tu es sa camarade, tu es son professeur, tu es le père qui ne me protègera plus, tu es la mère qui n’entendra plus mes confidences, tu es celui qui me disait que j’étais belle, tu es celle pour qui j’aurais décroché la lune, tu es moi, tu es elle, tu es lui, tu es eux, tu es la personne qui ne sera plus là.
Ce jeudi j’ai perdu une part de moi-même, comme des millions de citoyens du monde.
Je garderai à tout jamais l’image de la Promenade couverte par l’horreur, toi, garde où que tu te trouves le spectacle de la Promenade illuminée par les feux d’artifice.
A toi, l’une des victimes de l’attentat de Nice, je te fais la promesse que je vais continuer de vivre.
VARSI Julia 1ère ES1, octobre 2016
Institut Stanislas Cannes
